Stendhal à Milan : « Le plus beau lieu de la terre »
par Romain Arazm, F-M, Magazine
Si l’on devait raconter la relation d’amour qu’Henri Beyle dit Stendhal (1783-1842) a entretenu avec la ville de Milan, on pourrait commencer par la fin. S’inspirant du croquis qu’il en avait proposé dans le manuscrit de Souvenirs d’égotisme, on peut lire sur sa tombe l’épitaphe suivante : « Errico Beyle, milanais ».
Né grenoblois, l’auteur du Rouge et le Noir était en effet devenu milanais.
Au lendemain du coup d’État du 18 brumaire, le jeune Stendhal quitte son berceau alpin et gagne le Paris post-révolutionnaire.
Mais au fil des mois, ses doutes se multiplient et la perspective d’intégrer l’école Polytechnique s’éloigne. Par chance, la grande Histoire croise son chemin et délivre le jeune homme d’une vie parisienne qui l’accable et dont l’absence de montagne le dégoute.
Il ne sait ni monter à cheval ni manier le sabre. Mais ce sont là de simples détails. Le 7 mai 1800, à l’âge de 17 ans, il rejoint la Grande Armée marchant à toute allure sur l’Italie pour surprendre l’ennemi autrichien.
Stendhal fait le voyage avec le capitaine Burelviller, qui lui sert de mentor, et son domestique avec lequel il se lie d’amitié. Trois jours plus tard, ils atteignent la rive nord du lac Léman et contemplent la muraille des Alpes se refléter dans ses eaux printanières.
Peu de temps après le passage du Premier Consul, immortalisé par le pinceau de Jacques Louis David, Stendhal franchit à son tour le col du Grand-Saint-Bernard.
Mais à peine pénètre-t-il dans l’étroite Vallée d’Aoste que déjà, il est témoin d’une violente canonnade devant l’éperon rocheux du fort de Bard. Il y fait l’expérience du sublime, compagnon de route du danger et de la mort. Comme il le mentionne dans Vie de Henry Brulard, un texte autobiographique écrit en 1836 et publié plus de 50 ans plus tard, l’adolescent voulait voir de grandes choses. Il est servi.
Après une halte à Ivrée au cours de laquelle il sera littéralement enchanté par un morceau du compositeur napolitain Domenico Cimarosa, Stendhal arrive à Milan. Le printemps s’apprête à céder sa place à l’été. Il s’installe chez son cousin Martial Daru à la Casa d’Adda, une maison dotée d’une cour magnifique et d’un escalier superbe. C’était, écrit Stendhal, « la première fois que l’architecture produisait son effet sur moi ».
Les mois qui s’écoulent jusqu’à sa nomination au 6e régiment de dragons en novembre 1800 correspondent à un bonheur céleste et complet.
Stendhal écrira 35 ans plus tard, avoir passé là les meilleurs moments de sa vie. La ville, la dentelle gothique de son duomo, la richesse de ses collections de peintures, la luxuriance de sa campagne et ses habitants, chez qui il perçoit l’exceptionnelle réunion de la sagacité et de la bonté, imprimeront pour toujours l’imaginaire de l’écrivain.
À partir de ce premier séjour milanais – il y en aura beaucoup d’autres – la ville infuse son œuvre comme en témoignera l’ouverture grandiose de La Chartreuse de Parme décrivant la première entrée de Bonaparte dans la ville.
Grenoble a vu l’homme naître. Milan peut se targuer d’avoir contemplé la naissance de l’écrivain. Il multiplia les récits de ses séjours milanais.
Dans les dernières pages de la Vie de Henry Brulard, Stendhal se demande : « Comment peindre l’excessif bonheur que tout me donnait ? » avant de répondre quelques lignes plus loin : « C’est impossible pour moi.
On gâte des sentiments si tendres à les raconter en détail ». Confession savoureuse pour un écrivain…